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Loi Travail - Décret de modernisation de la médecine du travail - Questions /Réponses
| Réglementation
Le décret de modernisation de la médecine du travail implique différents changements qui peuvent susciter des interrogations. Voici une série de "Questions / Réponses".
Quel est l’objectif du décret relatif à la « modernisation de la médecine du travail » ?
Ce décret est l’aboutissement d’un long processus législatif et réglementaire initié dans les années 2000. Il s’agit d’actualiser le cadre juridique de l’activité des services de santé au travail en fonction des réalités de l’emploi d’aujourd’hui et aux enjeux sanitaires de notre pays. Les risques à prendre en compte évoluent, les réponses à y apporter également. Cette adaptation était nécessaire et de nombreux rapports l’ont confirmé. Dans les faits, cette adaptation est déjà largement engagée, parfois en marge des textes, par les professionnels sur le terrain confrontés à la vraie vie des entreprises.
Les évolutions apportées par ce décret apportent-elles une réponse à l’insuffisance des ressources médicales dans ce domaine ?
La diminution du nombre de médecins du travail est un élément indéniable dans l’évolution de l’activité des Services de Santé au Travail. Ceci dit, il s’agit surtout de repenser des règles définies pour l’essentiel au siècle dernier et de les adapter au monde du travail d’aujourd’hui. L’état sanitaire de la population en 1946, année de création de la médecine du travail, n’est pas celui de 2016. Le CDI à vie de 1946 a cédé la place à des parcours professionnels beaucoup plus morcelés. La nature et la fréquence des risques évoluent également. Il faut donc inventer des réponses nouvelles. C’est ce que permet l’article 102 de la loi Travail consacré à la santé au travail, et précisé par ce décret.
Quelle est la périodicité des visites dorénavant ?
Tout d’abord, il est nécessaire de considérer ces chiffres comme ce qu’ils sont dans le texte, c’est-à-dire des plafonds. Ce ne sont pas des périodicités obligatoires. Selon les besoins, il s’agit de déterminer le meilleur suivi possible. Il importe de communiquer auprès des entreprises et de leurs salariés sur le fait qu’il n’y a plus de norme fixe. Le suivi et la périodicité s’adapteront à la situation de chacun. Cela permet d’être globalement plus efficaces.
Ce sont les médecins du travail qui détermineront le suivi adapté en respectant les plafonds prévus par le texte. Ils préconiseront des visites individuelles mais aussi des actions de prévention sur le milieu de travail, là où se traitent concrètement les expositions professionnelles.
Les salariés seront-ils moins protégés du fait de l'espacement des visites ?
On ne peut pas corréler l’efficacité de la prévention à la seule périodicité des visites ! Ce qui protège les salariés, c’est la diminution des situations de travail les exposant à des risques professionnels et la prise en charge la plus rapide des personnes en difficulté. Le systématisme des visites non ciblées ne suffit pas à protéger les salariés.
Le texte fixe un temps maximal entre deux rencontres avec un professionnel de santé au travail. La périodicité n’est pas fixe, elle est plafonnée. En réalité, au sein de chaque Service, les professionnels vont se concerter pour définir les modalités les plus adaptées pour suivre l’état de santé des personnes qui leur sont adressées. Dans le respect des impératifs posés par le décret, les médecins du travail sont libres de programmer le rythme des visites en fonction des besoins réels des salariés. La réglementation précédente faisait peu de distinction entre les différentes situations. Le temps médical est précieux. Il doit être dédié à ceux qui en ont le plus besoin.
Et une visite médicale du salarié peut être demandée à tout moment par lui-même, son employeur ou le médecin du travail en cas de nécessité. En outre, les infirmiers du travail renforceront la prise en charge lors de la visite d’information et de prévention en absence de risques particuliers identifiés ou entre deux examens médicaux. Ils participeront également activement au développement de la culture de prévention dans l’entreprise et contribueront à la connaissance des expositions aux postes de travail.
Il est important d’avoir conscience que la protection des salariés au travail ne se résume pas à la visite médicale. Les Services de Santé au Travail Interentreprises ont d’autres missions légales : l’aide à l’évaluation des risques, le conseil de mesures de prévention adaptées, le repérage et la traçabilité des expositions professionnelles et la veille sanitaire. Le tout est assuré par une équipe pluridisciplinaire composée de professionnels de santé mais aussi d’ergonomes, de toxicologues, de techniciens hygiène et sécurité, d’assistants de services sociaux, de psychologues du travail, d’assistants techniciens en santé au travail, etc., avec l’appui d’assistants médicaux.
Pourquoi avoir substitué la visite d’information et de prévention à l'examen médical d'embauche?
La visite médicale d’embauche ne disparait pas. Un premier rendez-vous aura lieu systématiquement. Il revêtira deux formes différentes selon que le salarié soit ou non exposé à des risques particuliers : une visite d’information et de prévention pour les salariés les moins exposés ou une visite médicale avec le médecin du travail pour les situations à risques particuliers. Avec 22 millions de déclarations uniques d’embauches par an, dont 15 millions de contrats de moins d’un moins, il était indispensable d’adapter la prise en charge à l’embauche pour répondre aux besoins de tous. Le renfort des professionnels de santé est indispensable pour notamment délivrer des messages de prévention. Les professionnels de santé travaillent sous l’autorité médicale du médecin et en coopération avec lui. Leur exercice, guidé en partie par des protocoles médicaux, leur impose de réorienter les personnes qui le nécessitent vers le médecin du travail.La médecine du travail est avant tout une médecine préventive. Son action ne se résume pas aux visites médicales. L’aide à l’évaluation des risques, les conseils pour adapter les postes de travail, le développement d’une culture de prévention, etc. sont des leviers tout aussi importants pour préserver la santé des salariés.
Comment la surveillance de l’état de santé du salarié va-t-elle être assurée ?
Grâce à une prise en charge par un professionnel de santé dès l’embauche, puis par un suivi dans le temps en fonction des besoins par un professionnel de santé ou un médecin du travail. Les protocoles des médecins du travail s’adaptent à l’état de santé de chaque salarié, à son âge, à ses conditions de travail. Et il est normal que la périodicité diffère selon les cas.
Le texte de loi prévoit un suivi des salariés intérimaires ou en CDD équivalent à celui des CDI. C’est à dire qu’indépendamment du nombre de missions ou de contrats successifs, la personne doit bénéficier toutes les X années selon son cas, d’un entretien individuel avec un professionnel de santé au travail. Mais il est nécessaire de disposer d’un système d’information et d’un identifiant unique pour chaque salarié, afin de savoir que la personne doit être vue. Ce système d’information global n’existe pas à ce jour. L’application ne sera donc pas immédiate. On risque ainsi de voir à intervalle très rapproché des personnes qui ne le nécessitent pas forcément. Mais des projets sont en cours et progressivement cette mesure produira ses effets, et libérera du temps pour développer les actions de prévention directement dans l’entreprise, là où se construit une partie de la santé des salariés.
Pour les intérimaires, un certain nombre de bases partagées entre Services existent déjà et permettent en partie ce suivi.
D’autre part, un certain nombre de visites sont à réaliser avant l’embauche ou dans un délai qui ne peut excéder 3 mois après la prise de poste effective. Pour réussir à organiser ces visites dans les temps, une connexion avec le système d’information des URSSAF, qui enregistre les déclarations uniques d’embauche, serait effectivement opportune. Là encore le projet est à l’étude.
Comment la veille sanitaire est-elle assurée et comment se concrétise-t-elle ?
Les données recueillies sur les risques et les mesures de prévention sont consignées dans un dossier d’entreprise, celles sur l’état de santé dans un dossier médical santé travail. Ces informations sont toutes couvertes par le secret médical ou le secret professionnel. Rendues anonymes, elles peuvent être exploitées collectivement, pour développer la connaissance sur les facteurs d’atteinte à la santé, pour identifier des pathologies émergentes, pour alerter sur un produit ou un processus dangereux. Elles nourrissent plus globalement les diagnostics territoriaux sur lesquels se construisent les politiques publiques de santé au travail.
Quels sont les critères pour évaluer les risques et les identifier ?
La liste des risques particuliers sont le fruit d’une large concertation avec les professionnels de santé et les partenaires sociaux. Elle vise les situations qui a priori pourraient présenter un danger grave dès les premiers jours de travail si une incompatibilité du poste et de l’état de santé du salarié existait. Comme toutes ces situations ne peuvent être envisagées par un texte, l’employeur pourra en déclarer certaines qui ne sont pas prévues dans la réglementation après avoir pris l’avis du médecin du travail ; et la liste du Code du travail sera périodiquement révisée en fonction de l’évolution des connaissances.
Les prérogatives du médecin du travail vont-t-elles évoluer ? Et celles des autres membres de l'équipe pluridisciplinaire?
Le médecin du travail est le conseiller des travailleurs, des représentants du personnel, et de l’employeur. Au besoin, lorsqu’il constate un risque d’atteinte à la santé, et que ses premières alertes sont restées sans effet, il est amené à adresser par écrit ses préconisations à l’employeur qui est tenu de répondre, sous peine d’engager sa responsabilité.
Dans la pratique, les membres de l’équipe pluridisciplinaire interviennent sous l’autorité du médecin du travail dont le devoir professionnel et l’éthique garantissent une action centrée sur les enjeux de santé. Une information claire sur l’objet de la visite, la pertinence de l’action des professionnels, et le rappel que les éléments évoqués sont soumis au secret médical et professionnel demeurent indispensables.
Qu’en est-il de l’examen médical d’aptitude ? Cela sera-t-il suffisant ?
L’examen médical d’aptitude est maintenu pour les postes à risques particuliers et les visites organisées suite à un incident de santé.
Quant à l’avis d’inaptitude, selon la décision du médecin du travail, il sera délivré après une ou deux visites médicales. Dans ce dernier cas, la seconde visite intervient dans un délai maximal de 15 jours après la première.
En pratique, pour déclarer un salarié inapte, le médecin du travail doit notamment avoir échangé avec le salarié et l’employeur afin d’épuiser toutes les solutions de maintien au poste de travail.
La délivrance d’un avis d’inaptitude est une décision de dernier recours pour le médecin du travail. Les textes en question renforcent l’obligation de concertation avec le salarié et l’employeur en amont d’une telle décision.
D’ailleurs, quand cette concertation a épuisé toute les solutions possibles, il est inutile de créer des situations d’attente pénibles pour le salarié, et d’imposer à l’entreprise la recherche de reclassement manifestement inenvisageable. Dans ce cas le médecin du travail mentionne dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise. L’employeur est alors exempté d’une recherche de reclassement que tous savent vaine dans le contexte donné. En résumé, le texte modifie surtout le formalisme de la procédure.
En matière de reclassement des salariés, la charge de la preuve à apporter par l’employeur est allégée si le médecin du travail indique dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement.
Les visites médicales seront moins systématiques. Les cotisations des entreprises vont-t-elles baisser ?
La prise en compte de l’ensemble des missions dévolues à un SSTI par la loi est nécessaire pour considérer les moyens financiers à mobiliser pour leur réalisation. La surveillance de l’état de santé n’est qu’une des 4 missions des Services : l’action en entreprise, le conseil, et la traçabilité et la veille sanitaire requièrent également des infrastructures et des moyens humains importants. Les salaires constituent environ 80% du budget d’un SSTI. En outre, la visite médicale d’embauche ou celles réalisées périodiquement ne constituent qu’un des éléments du suivi individuel. Quant au volume des visites dites non périodiques, il ne cesse d’augmenter notamment celles réalisées lors de la reprise ou celles demandées par les salariés ou par les employeurs. Par ailleurs, à titre d’exemples, le vieillissement des actifs ou l’évolution des risques psychosociaux mobilisent de manière croissante les médecins du travail pour lutter contre la désinsertion professionnelle des salariés.
L’intervention des infirmiers dans le suivi des salariés, la mise en oeuvre complète des projets de Service, la réalisation d’une fiche d’entreprise pour l’aide à l’évaluation des risques dans tous les établissements, l’engagement dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens signés avec la Direccte et la Carsat impliquent des ressources suffisantes.
De plus, l'universalité du suivi de santé a été unanimement soutenu et maintenu ; elle se traduit entre autres dans la loi d'août 2016 par la création de la visite d’information et de prévention qui permettra une rencontre avec un professionnel de santé à l’embauche ou périodiquement plus régulière, tout en développant l’aide à l’évaluation des risques formalisée au niveau du SSTI par une fiche d’entreprise rédigée sous l’autorité d’un médecin du travail.
In fine, ce sont les conseils d’administration paritaire puis les assemblées générales d’employeurs, adhérents et uniques financeurs, qui fixeront le niveau de cotisation adapté à leurs besoins. Ces associations de droit privé, régies par la loi de 1901, doivent équilibrer leurs comptes. Elles sont à but non lucratif.
Les changements induits par la nouvelle réglementation ont été anticipés par de nombreux SSTI confrontés aux enjeux de santé au travail et aux réalités du terrain. Or, l’on observe une évolution à coût globalement constant. Peu d’institutions en lien avec la santé ont réussi à absorber des missions toujours plus nombreuses, dans un environnement du travail toujours plus complexe, avec une population active vieillissante, sans dérapage des coûts. Les SSTI le font.
Mais concrètement, qu’est-ce qui va changer ?
Les salariés bénéficieront d’un suivi, non plus systématique, mais adapté à leur âge, à leur état de santé, à leurs conditions de travail et aux risques professionnels de leur poste. Des infirmiers en santé au travail interviendront de manière plus importante dans ce suivi, et prodigueront des conseils de prévention.
Les médecins du travail rencontreront les salariés qui en ont le plus besoin, avec la possibilité maintenue pour chacun d’entre eux de voir son médecin du travail, à sa demande ou à celle de l’employeur.
Les obligations de visites à l’embauche seront mieux respectées, pour peu qu’elles soient demandées avec un délai suffisant permettant de programmer le rendez-vous.
Pour les salariés qui enchaînent des contrats courts, chaque nouveau contrat de travail n’imposera pas une visite médicale. La fréquence des visites sera comparable à celle des salariés en CDI.
D’une manière générale, les employeurs devraient retrouver une sécurité juridique eu égard à leurs obligations relatives au suivi individuel de l’état de santé de leurs salariés.
D’avantage de temps sera disponible pour aider l’entreprise à l’évaluation des risques et pour la conseiller dans la mise en place de mesures de prévention. La présence des professionnels de santé au travail dans l’entreprise sera accrue. Elle contribuera au développement de la culture de prévention afin d’agir le plus en amont possible des éventuels problèmes de santé.